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La localisation des sépultures des Morts pour la France inscrits sur le Monument aux Morts de Lézigné

Le monument aux morts de Lézigné a été édifié "(…) à la mémoire de soldats de la commune morts pour la France au cours de la Guerre 1914-1918 ", suivant la décision prise par les membres du Conseil municipal réunis lors de la session ordinaire du 24 Novembre 1918. Plus qu’un hommage rendu aux 15 Lézignéens disparus, les familles endeuillées pouvaient retrouver là, à l’entrée du cimetière, un tombeau pour le fils, le frère, le père ou l’époux inhumé loin de chez lui. A travers l’inscription de leurs noms dans le marbre, ce monument funéraire permettait aux chrétiens de voir s’accomplir le passage de la vie terrestre à la vie céleste. Il s’agit donc bien d’un cénotaphe placé dans un lieu dédié au culte des morts, et non pas d’une tombe collective.

Aussi, on est en droit de s’interroger quant au devenir des corps des "enfants de Lézigné". Et l’on pourrait conclure intuitivement qu’ils sont enterrés dans les cimetières qui jalonnent les 750 km du front, sur les lieux mêmes où ils sont tombés. Raisonnement hâtif : cette question mérite, en effet, un examen approfondi. On doit, pour y répondre, se pencher au préalable sur les modalités d’inhumation pendant la Grande Guerre, modalités qui découlent à la fois des conditions du décès, mais aussi du lieu d celui-ci et des aspirations familiales.

Emile Beaupère, poilu inhumé à Lézigné
Emile Beaupère, poilu inhumé à Lézigné
Emile Beaupère, poilu inhumé à Lézigné
► Emile Beaupère, Mort pour la France, portrait émaillé, coll. privée A.R. 
Procès verbal de Transport de corps, délivré par la Mairie d Parthenay mise en bière, 30 aout 1915.  A.M. Lézigné – 1 J 2
Monument aux Morts de Lézigné, avant restauration, emplacement initial à l'entrée du cimetière, photo DR AChiron
○ Emile Beaupère (cultivateur né le 23/07/1896 aux Moulins Neuf ) est décédé le 29 août 1915, à 13h, à l'hôpital mixte de Parthenay (79), de la rue de la Citadelle (Il y a 12 hôpitaux mixtes pour la région du 9e CA) . Son corps sera remis à  son père, informé du décès par télégramme (autorisation du Commissaire de police, Auguste Gilbert 30/08/1915). Il venait d'avoir 19 ans, et venait d'être incorporé au 114e Régiment d'infanterie, 29e Compagnie, depuis le 11 avril 1915 (Saint-Maixent l'Ecole). La maladie contractée en service commandée l'emporte 4 mois plus tard. Mais est-il sûr qu'il avait alors rejoint le Front avec les "bleus" de la classe 1916 dans laquelle il est incorporé ? Le 114e RI a reçu deux renforts depuis le dépôt les 8 et 10 juillet : respectivement 140 puis 196 hommes (sous officiers compris). Était-il malade avant de rejoindre la Zone armée ? Ou l'est-il devenu dans l'Oise où se situe alors le régiment ? On peut penser à juste titre qu'il était resté au dépôt, alors à Parthenay, déjà trop faible pour partir...
Ce portrait longtemps exposé sur la cheminée familiale par les parents (Michel et Anne sa mère née Daillère) a été  conservé  dans la famille par les descendants de son frère Albert (né en 1904). Emile avait également une sœur, Marie, née en 1902.

Décédé dans la « Zone intérieure »

Distinguons d’abord deux grandes zones : la "Zone des armées" d’une part (composée de la "zone avancée" près de la ligne de feu et interdite aux civils, et de la "zone réservée" où les déplacements sont très surveillés), et la "Zone de l’Intérieur" d’autre part, que l’on appelle communément l’"arrière. La ligne de démarcation allait approximativement du Havre à Besançon, passant au nord-est de Paris. En effet, un certain nombre de poilus sont morts à l’arrière, où ils ont été évacués suite à leurs blessures, ou en raison d’une maladie contractée en service. Bien que jugés transportables, après les premiers soins effectués dans les HOE, hôpitaux d’opération et d’évacuation relevant des corps d’armées, ils ont rendus leur dernier souffle dans des hôpitaux militaires (déjà installés en temps de paix), mixtes (des hôpitaux où des salles ont été réservées, comme pour 1500 hommes à l’hospice de Durtal), temporaires complémentaires dans des locaux réquisitionnés, ou encore tenus par la Croix rouge (les "hôpitaux auxiliaires") ou par des bénévoles (une 20aine de lits dans la salle du patronage Jeanne d’Arc à Seiches par exemple). François Ménard, Emile Beaupère et Jean Gaubert sont de ceux-là.

Les deux premiers sont décédés des suites de leurs blessures : François Ménard le 4 décembre 1914 à l’hôpital complémentaire 23 de Mortain (Manche), atteint par des éclats d’obus reçus au carrefour de Zonnebeke, le 13 Novembre 1914 lors de la 1ère bataille d’Ypres (Flandres belge) où son régiment, le 135e RI (régiment d’infanterie) d’Angers, a durement été éprouvé. Jean Gaubert, le 25 avril 1918 à l’hôpital mixte du Mans, d’une congestion cérébrale peut-être provoquée 10 jours plus tôt à la suite à un accident automobile (il est conducteur d’autobus dans la section automobile T.P. 504 ("Transport de Personnel") du 4e Escadron du Train des Equipages Militaires)… en Zone de l’Intérieur. Quant à Emile Beaupère, il décède le 29 août 1915, des suites d’une maladie contractée en service commandé à l’hôpital mixte de Parthenay (Deux-Sèvres). Le corps de ces soldats est en général inhumé dans le carré militaire du cimetière de la ville où il est mort (un peu plus de 110 000 soldats sont dans ce cas). François Ménard repose toujours à Mortain. Célibataire et issu d’une famille modeste (il est domestique de ferme à Biarnais, à Huillé), n’avait plus de famille que son frère aîné, Charles qui va également disparaître sur le front, quelques 2 ans plus tard. Par contre, et il est le seul dans ce cas, Emile Beaupère repose aujourd’hui dans le caveau familial du cimetière de Lézigné. Pourquoi ? Parce que dès le lendemain du décès duquel il a été averti par télégramme, son père Michel des Moulins neufs est parti chercher le corps de son fils à Parthenay. Il venait d' avoir ses 19 ans 1 mois plus tôt. Sa famille a donc pu accomplir les rites mortuaires (veillées, funérailles chrétiennes sous la conduite du curé de la commune, l’abbé Chupin) et achever le travail de deuil. En effet le rapatriement des corps est une pratique autorisée : conformément au décret du 27 avril 1889, toute demande nécessite l’obtention d’une double autorisation d’exhumation et de transport de corps : administrative (par le maire, le sous-préfet…) et militaire (délivrée par l’autorité militaire concernée). Il est probable que la veuve de Jean Gaubert, le charron de la Brûlonnière, et par ailleurs père d’une enfant née à Lézigné (Jeanne, en 1906), ait effectué la même démarche, après son départ de la commune en 1920. Son corps aurait dû reposer dans le carré militaire du Mans, mais n’en avons point jusqu’à présent retrouvé la trace.

Emile Beaupère, poilu inhumé à Lézigné
Emile Beaupère, poilu inhumé à Lézigné
► Entrée de la Nécropole de Bévaux (Verdun Sud) et plan d’organisation
 Située au sud de l'agglomération (Boulevard Jean Monnet), cette nécropole de Bévaux (dite également "des Divisions") constituée dès 1916 pendant la Bataille de Verdun, rassemble 3 107 tombes individuelles des soldats de la Grande Guerre (+ 485 de la Seconde Guerre mondiale). Tous les corps inhumés sont identifiés : elle ne comporte pas d'ossuaire. Elle regroupe en effet  les corps exhumés venus des cimetières de Glorieux et de la caserne Marceau (en 1924), sur une surface de 23 269 m². La tombe de Paul Clauzier, décédé à l'ambulance 3/11, vraissembleblement dans les caves de la caserne Marceau, sur les hauts de Verdun, y porte le numéro 851 (carré 4 , rang 12)

Les sépultures des nécropoles

La gestion des dépouilles des soldats morts en zone des armées est cependant toute autre. Alors que, devant l’ampleur des pertes au début du conflit, les autorités militaires sont confrontées à de nombreuses demandes de restitution, le général Joffre, dès le 19 novembre 1914, interdit tout transport de corps.. Ce refus répond à trois motivations : morales (traitement d’égalité entre les familles plus ou moins fortunées…), sanitaires (hygiène) et surtout matérielles (mobilisation de moyens matériels et de personnel pour identifier, exhumer, restituer, transporter…). Des pratiques clandestines d’exhumation se répandirent néanmoins, devenant de plus en plus nombreuses après-guerre alors que les autorités militaires voulurent prolonger cet interdit pendant 3 années. Jusqu’à ce que la loi du 31 juillet 1920 organise la restitution des corps, alors que le Service des Armées poursuivait la création des nécropoles nationales (depuis loi du 29 décembre 1915), regroupant les tombes et cimetières épars constitués le long de la ligne de Front. Si 250 000 hommes environ furent restitués, ce ne fut pas le cas pour 8 Lézignéens, les familles n’ayant pas réclamé, semble-t-il, leurs dépouilles. Auguste Galliot, Victor Daillère, Henri Marquis, Charles Ménard, Paul Clausier, Frédéric Rapin et Arthur Lumeau, auquel il faut ajouter Louis Drouault, reposent toujours dans l’une des 265 nécropoles nationales parmi quelques 740 000 corps identifiés ou non (sur un total d’un peu plus de 1,350 millions de morts).

Ainsi, sur les lieux des batailles de Champagne : Victor Daillère, du 64e RI, décédé par suite de ses blessures le 16 février 1916, devant le village de Tahure (Marne), à une 10aine de km de Souain (nécropole de La Crouée, à Souain-Perthes-les-Hurlus, tombe 8469) ; Charles Ménard, déjà cité, journalier domicilié au Vivier, qui perdit lui aussi la vie par éclat d’obus, dans un boyau le 3 janvier 1917, vers 14h00, à quelques 400 mètres de la route de Somme-Py (près de la fameuse ferme de Navarin, si chèrement disputée). On peut voir sa tombe, numérotée 3290, à 6 km du lieu où il est tombé, dans la nécropole nationale Suippes-Ville (Marne). Arthur Lumeau, du 101e RI, inhumé dans la nécropole d’Orfeuil, tombe 842, à Semide (département des Ardennes, mais commune limitrophe de Sommepy-Tahure dans la Marne). Il est tué à l’ennemi, le 5 octobre 1918, à un mois de l’armistice.

Sur un autre champ de bataille, un mois plus tôt, au matin du 29 aout 1918, Frédéric Rapin "a été tué glorieusement au moment où il cherchait à progresser en tête de son escouade " (citation à l’ordre du régiment - Croix de guerre étoile d’argent). Il est 9 heures. Il vient avec le 2e Régiment de Marche des Tirailleurs de prendre Noyon lors de la bataille de l’Oise et de l’Ailette. Il y repose, dans la nécropole nationale, tombe 29.

Dans la Marne comme les précédents, mais à l’extrémité occidentale du champ de la bataille de Verdun (1916), est inhumé Henri Marquis, tombe 2957 de la nécropole d’Esnes-en-Argonne. Il est tombé à quelques centaines de mètres de là, le 5 mai, en résistant avec le 66e RI aux assauts considérables des Allemands qui essayent de prendre position sur la fameuse côte 304. La tombe de son fils unique dénommé Henri comme lui, et décédé 4 mois plus tard, à l’âge de 4 ans, rappelle que son père était à Verdun où il eut, comme le dit sa citation, une "très belle conduite au combat". Elle est visible à gauche de l’entrée du cimetière. Quant à Paul Clauzier du 335e RI (nécropole de Bevaux, Verdun-sud, tombe 851), il est décédé le 24 janvier 1917 des suites de blessures de guerre à l’ambulance 3/11, alors que la (1ère) Bataille de Verdun s’est achevée 1 mois plus tôt. C’est pendant la relève du 4e bataillon sur le secteur des Chambrettes (à 5 km au nord de Douaumont), « où les hommes n’ont que très peu d’abris et où les trous d’obus font office de tranchées » (JMO du 335e RI), et à la nuit tombée, qu’il est blessé 3 jours plus tôt lors de violents bombardements. Le cas du cheminot Auguste Galliot est emblématique des débuts du conflit. Il est mort le 5 janvier 1915 : c’était alors le 1er hiver d’une guerre que l’on espérait encore courte. Aussi, dans la précipitation, les rappelés comme lui (au 313e RI), n’étaient pas encore vaccinés contre la typhoïde, bin que cela fut préconisé par les autorités depuis le printemps 1914. Il décèdera de la fièvre à l’hôpital des contagieux de Bar-le-Duc (situé dans la Zone des armées), où il a été évacué par ce qu’on n’appelle pas encore la « Voie Sacré », cette fameuse route stratégique durant la bataille de Verdun : tombe 884 de la nécropole nationale de Bar-le-Duc.

Mais jusqu’à présent, nous n’avons parlé que des sépultures identifiées. En effet, jusqu’à ce que la Loi du 29 décembre 1915 accorde le droit à tous les soldats morts au combat de reposer dans une concession individuelle, beaucoup se retrouvèrent dans des fosses communes, ou du moins des tombes collectives. Louis Drouault, du 135e RI étaient vraisemblablement dans ce cas. Tué lors des combats de Prosnes (Marne, près de Reims), le 27 septembre 1914, au moment du retrait de l’armée allemande vers des positions hautes suite à la contre-offensive de la Marne, son corps n’a pu être identifié parmi d’autres lorsque l’on a regroupé les corps exhumés de cimetières militaires de la Marne dans les nécropoles nationales. Mais nous savons qu’il se trouve dans l’ossuaire n°1 de la nécropole de Sillery, avec 483 autres soldats (dont 241 inconnus).

Emile Beaupère, poilu inhumé à Lézigné
Emile Beaupère, poilu inhumé à Lézigné
Emile Beaupère, poilu inhumé à Lézigné
 Nécropole  de L’Orée de la Forêt, Rossignol (Tintigny, Belgique)
Site du cimetière de Beuvranne (Tintigny) : stèle commémorative, 1er lieu d’inhumation (?) de Jean Baptiste Loison
Monument aux Marsoins, inauguré le 21 aout 1927 (en présence du Général Gouraud, et du Lieutenant-général Constant Hinque, bourgmestre)
○ A l’issue de la Bataille de Rossignol (22/ août 1914,  Saint-Vincent Belgique), plusieurs cimetières sont constitués à Saint-Vincent : Le Mesnil à Breuvanne (soldats de la 3e DIC), le cimetière de l’Est et Les Bulles  à Rossignol… En 1917, les Allemands  regroupent dans le cimetière de l'Orée de la Forêt   (avec la nécropole du Plateau) ,  635 soldats (408 Français et 227 Allemands) ainsi que les corps de  2 379 soldats français inconnus rassemblés  dans deux ossuaires et  provenant d'autres petits cimetières de la région.
Nous conservons aux Archives municipales, une lettre de l’adjoint au maire de Lézigné, Louis Bachelier  en date du 13 mai 1915, et adressée au  Commandant du bureau de recrutement d’Angers. Il y demande confirmation que le Jean Baptiste Loison disparu (renseignement envoyé par le Comité international de la Croix rouge, d’après une liste officielle allemande des objets déposés au Ministère de la Guerre à Berlin) est bien celui domicilié à Lézigné. Confirmation faite, on peut en conclure que son corps retrouvé par les Allemands, fut inhumé sans doute par eux, et se situe dans  l’ossuaire après avoir été exhumé depuis Breuvanne (Tintigny).

Le cas des disparus

Les chiffres des morts avancés plus haut le laisse entendre : un peu plus de 300 000 corps sont toujours à ce jour disparus. En y ajoutant les dépouilles des soldats inhumés anonymement dans les ossuaires, ce sont autant de corps absents, de deuils impossibles à achever. Dans les cimetières provisoires à proximité des postes de secours, près des tranchées, dans les carrés militaires constitués à la hâte dans les communes proches du front, n’ont été dressées que de simples croix de bois où les noms inscrits, lorsqu’ils étaient connus, s’effaceront ou disparaîtront parfois sous les salves de l’artillerie au gré d’un front mouvant.

Dans la confusion du début de la Guerre, certains Morts pour la France ont été inhumés par les Allemands eux-mêmes, dans les territoires qu’ils vont occuper pendant 4 années. Jean-Baptiste Loison, de la Guittière, tué le 22 août 1914 lors de la Bataille de Rossignol (Belgique) se trouve-t-il parmi les 2 379 inconnus des 2 ossuaires de la nécropole de L’Orée de la Forêt à Rossignol-Tintigny (province du Luxembourg, Belgique) ?

Où a été déposé le corps de François Sauleau, de Brouard, tué dans les marais de Saint-Gond le 9 septembre 1914 lors de cette contre-offensive victorieuse de la Marne ? Est-il avec ses camarades du 77e RI qui ont eu la chance, eux, d’être identifiés dans l’ossuaire de la nécropole de la Fère-Champenoise (3 329 inconnus). Et Louis Dailler, jeune homme encore célibataire de 20 ans, tué à Vaux-Devant-Damloup au plus fort de la bataille de Verdun le 9 mars 1916… son corps se trouve-t-il dans l’ossuaire de la nécropole de Douaumont (130 000 sodats), ou son corps est-il encore enfoui, disloqué, éparpillé sous la terre retournée encore et encore par les bombardements incessants de l’artillerie, avant que ses camarades n’aient pu l’inhumer dignement ?

Quant à Ernest Grippon, mort à Millekruisse (Flandre occidentale - Belgique) le 11 mai 1918, se trouve-t-il avec ses camarades du 80e RI au Mont Kemmel, où seuls 57 soldats français furent identifiés sur les 5.294 rassemblés entre 1920 et 1925 dans cet ossuaire? Ils sont donc 4, 4 poilus de Lézigné disparus à jamais le long de cette ligne de front, entre Verdun et Ypres, mais dont les noms, car gravés sur notre monument, résonneront encore longtemps dans nos mémoires et celles des générations futures.

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